Sans mots sur la guerre
100 mots sur la guerre
Dans la préface de l’exposition Ukraine. Vision(s), mettant en dialogue les photographes du collectif MYOP et des auteurs ukrainiens, Volodymyr Yermolenko, président de Pen Ukraine, évoque l’absence de mots qu’impose la guerre :
« La guerre est bruyante. Et pourtant, elle crée le silence. Le silence de ceux qui ne répondront jamais. Qui ne vous appelleront jamais par votre nom. Qui ne vous diront jamais « je t’aime ».
L’acoustique de la guerre dépasse celle de notre quotidien, elle transcende notre langage humain. C’est à la fois trop et pas assez. Trop fort et trop silencieux.
Le silence engendré par la guerre n’est pas seulement physique. Vous ne trouvez plus les mots dont vous avez besoin. »
Mais rester silencieux est impossible. Parler de la guerre, écrire sur la guerre, est un acte de résistance. C’est pourquoi nous avons initié le projet Sans mots sur la guerre / Cent mots sur la guerre, où des écrivains et écrivaines ukrainiens partagent avec vous leur vision de la guerre en une centaine de mots, où chaque mot compte.
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Ce projet en cours de création. Tous les dix jours, nous ajouterons un nouveau texte. Restez à l’affût pour de nouvelles mises à jour.
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L’exposition Ukraine. Vision(s) s’est tenue à la Gaîté Lyrique du 9 février au 9 juin 2024. Elle a été co-organisée par MYOP et Pen Ukraine en collaboration avec l’Institut ukrainien.
100 mots sur la guerre d'Oleksandr Mykhed
Écrivain, commissaire de projets artistiques et critique littéraire, Oleksandr Mykhed, a été interviewé à plusieurs reprises par les médias français, notamment par Le Monde. Ses écrits figurent dans des recueils publiés en France, et il a également rédigé la préface du livre Ukraine. Fragments (Manuella Editions, 2023).
Avant la guerre, je parlais peu de moi et de mes sentiments. Cela me paraissait toujours superflu. Dans ma vie d’avant, on m’avait diagnostiqué un « syndrome de l’œil sec », c’est-à-dire que mes yeux ne sont pas suffisamment humidifiés. J’ai du mal à pleurer, physiquement. Avec ma femme, à l’époque, on en riait : j’exprimais si peu mes émotions que même mes yeux ont dû s’inventer un syndrome. La russie a décriminalisé le pillage sur le champ de bataille, le vol des affaires des tués et des blessés. Auparavant, selon l’article 266, on pouvait écoper de trois à dix ans de prison pour pillage. Et même de la peine de mort.
Mais la guerre change tout. Et, bien que je n’aie pas réussi à pleurer (au deuxième jour de la guerre, avoir le visage ravagé par un torrent de larmes chaudes était presque une formalité indispensable — peut-être est-il normal d’être en proie à ce genre d’hystérie dans des circonstances pareilles), j’ai commencé à parler. Peut-être même trop. Peut-être pas aux bonnes personnes. Mais la guerre réduit les distances et permet de s’adresser à ceux auxquels on n’aurait jamais parlé.
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Cet extrait tiré d’un texte écrit à l’occasion de l’exposition Ukraine. Vision(s) qui a été co-organisée par MYOP et Pen Ukraine en collaboration avec l’Institut ukrainien à la Gaîté Lyrique (9.02-9.06 2024).
100 mots sur la guerre d'Ostap Slyvynsky
Ostap Slyvynsky est poète, traducteur, essayiste et critique littéraire. Il a remporté le Prix Hubert Burda pour les jeunes poètes d’Europe de l’Est. Ses écrits figurent dans le recueil Ukraine : 24 poètes pour un pays (Éditions Bruno Doucey, 2022).
Ces derniers temps, nous avons beaucoup parlé des mots. Il est facile d’en parler parce qu’ils s’offrent à nous, appellent d’autres mots et ont une matérialité tangible. Nous lisons l’avenir en eux : certains le font au petit bonheur, comme avec le marc de café, d’autres à l’aide d’instruments de mesure précis. Nous étudions les mots, les intonations. Les nôtres, ceux des autres.
Quand il y a des mots, c’est déjà bien. Même ces autres mots, les mots des autres, ceux avec lesquels ils essaient de nous détruire. Car, par les mots, ils se dévoilent et deviennent par là même vulnérables face à nous. Si tu veux tuer, même avec un mot, il faut te mettre à découvert comme un tireur qui sort de son embuscade, et pendant ce court instant, tu deviens une cible.
Le pire, c’est quand il n’y a plus de mots. Le silence au milieu de la guerre est aussi terrible que lorsque la lumière s’éteint à la dernière fenêtre.
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Cet extrait tiré d’un texte écrit à l’occasion de l’exposition Ukraine. Vision(s) qui a été co-organisée par MYOP et Pen Ukraine en collaboration avec l’Institut ukrainien à la Gaîté Lyrique (9.02-9.06 2024).